Dans sa thèse de médecine Ophtalmologistes, mais pas que…, le Dr Jaillant propose une histoire revisitée de l’ophtalmologie à travers le portrait de quelques-uns de ses acteurs les plus illustres, parmi lesquels un pape, un révolutionnaire, un académicien, un héros national, l’auteur d’un célèbre détective et une sportive transgenre, tels que Conan Doyle (auteur de Sherlock Holmes), Jean-Paul Marat ou encore José Rizal, dont on ignore souvent qu’ils étaient « ophtalmo ».

Ophtalmologistes, mais pas que - Thèse d'exercice Dr Jaillant Romain
« Ophtalmologistes, mais pas que… » – R. Jaillant *

Résumé

Ils sont tellement différents, leurs vies sont si diverses et pourtant, un point commun les réunit. Ils sont ophtalmologistes. Tous, à un moment ou l’autre de leur existence se sont penchés sur ce tout petit organe, si merveilleux et si bien fait : l’œil ! Dans un ordre chronologique, cette anthologie raconte l’histoire de ces hommes, dont chacun à sa manière, a fait avancer l’histoire de notre discipline tout en s’illustrant dans un autre domaine. Politique, arts, économie, humanitaire, littérature… Aucune limite, pas de règle ! Seulement des destinées de médecins hors du commun.

Deux parties émergent :

  • Une première qui commence à l’antiquité pour s’achever à la Renaissance. À cette époque, l’œil et la vue demeurent d’immenses mystères et ceux qui s’intéressent à ces questions sont bien souvent des savants plus que des médecins au sens où on l’entend aujourd’hui. D’ophtalmologistes, ils n’en ont pas le titre puisque la discipline n’existe pas encore, mais on doit bien convenir aujourd’hui que ces grands hommes furent les pionniers de notre science.
  • Dans la deuxième partie, qui commence à la Renaissance, les choses évoluent. L’ophtalmologie est désormais reconnue et des hommes en font leur métier. Parmi eux, certains se distinguent aussi dans d’autres voies. L’histoire, ancienne ou plus récente, n’a bien souvent retenu d’eux que cette deuxième facette de leur talent et l’on sera surpris de découvrir quels grands ophtalmologistes se cachent derrière des destins passés à la postérité pour d’autres raisons.

Ce travail de thèse, c’est le récit de vies d’hommes. Des vies singulières, qui ont toutes participé à l’écriture de la grande histoire de notre spécialité.

Les questions d’Aristote – Aristote (384-322 Av J.-C.)

Né en 384 avant J.-C. d’un père médecin, Aristote refuse la voie de la médecine. Il devient un philosophe à l’image de son temps : savant dont les frontières ne connaissent pas de limites. À cette époque, l’étude de l’optique et de la vue n’est pas le monopole du médecin et, avec plus ou moins de succès, Aristote s’y consacre. Le précepteur d’Alexandre le Grand, laisse des réponses, mais aussi et peut-être avant tout, des questions…

« La vue est à l’œil ce que l’intelligence est à l’âme. Le miracle de la vue, tout comme celui de l’âme, avec lequel il partage un mystère immense, constitue l’un des plus grands puzzles pour la compréhension humaine » – ARISTOTE

La première cataracte – Celse (29 av. J.-C. – 37 ap. J.-C.)

Né avant le Christ, mort après lui. On ne sait presque rien de sa vie. C’est un encyclopédiste romain, qui a livré au monde moderne l’un des plus complets témoignages sur la pratique de la médecine antique. Il y a deux mille ans, il fut notamment le premier à avoir décrit la technique de la chirurgie de la cataracte. Mais en réalité, le premier chirurgien des yeux n’était pas médecin…

« Avant l’opération on doit, pendant trois jours, prendre peu de nourriture, ne boire que de l’eau et observer, la veille, une diète complète. ». – CELSE

L’orgueilleux – Galien (129 – 216 AP. J.-C.)

Avec Hippocrate, le Ve siècle avant J.-C. voit la naissance d’une discipline, la médecine. 650 ans plus tard, en 129 après J.-C., naît à Pergame (en Asie mineure) Claudius Galien, le dernier des grands médecins grecs. Après lui, le Moyen Âge. En ce IIe siècle après J.-C., la médecine n’a pas encore accouché de l’ophtalmologie, et Galien, comme tous les médecins est omnipraticien. Mais comme il n’hésite pas à l’écrire lui-même, sans doute est-il celui avec Hippocrate, qui a le plus contribué au progrès de la médecine antique et à celui de l’ophtalmologie d’alors.

« Hippocrate n’avait montré que le chemin. Moi seul en ai aplani toutes les difficultés comme Trajan avait rendu praticables les routes de l’empire Romain. » – CLAUDIUS GALIEN

La pierre de lecture – Abbas Ibn Firnas (810 – 887)

Avec la chute de l’empire romain, les manuscrits antiques sont passés à Constantinople et dans le monde arabe. Charles Martel et les croisades n’y font rien, au Moyen Âge, c’est l’Islam qui écrit la médecine. Abbas Ibn Firnas, né en 810 à Ronda en Espagne, en est l’illustration. Une sorte de Léonard de Vinci berbère, qui avant d’être le premier homme à réaliser le rêve d’Icare, avait mis au point la technique de taille de l’ancêtre des toutes premières lunettes. C’était au IXe siècle après J.-C.

« Paré des plumes d’un vautour, il vola plus vite que le Phoenix. » – MU’MIN IBN SAID

La vue change de sens – Alhazen (965-1039)

Autour de l’an mille, dans la civilisation islamique… On aurait pu parler d’Avicenne37, de son canon, de sa redécouverte des manuscrits de Galien et d’Hippocrate. Mais il est un de ses contemporains moins connu du grand public, qui mérite tout autant de considération. Le Perse Alhazen, né en 965, n’a pas seulement révolutionné l’optique. Pionnier en méthodologie de la recherche, il est le premier savant de l’histoire à avoir fait appel à l’expérimentation pour justifier ses raisonnements, ce qui fait de ce génie le père de l’optique, mais aussi de la science moderne.

« J’ai constamment recherché la connaissance et la vérité, et il est devenu ma conviction que, pour avoir accès à la félicité et la proximité de Dieu, il n’existe pas de meilleur moyen que celui de la recherche de la vérité et de la connaissance. » – ALHAZEN

Le pape du changement – Petrus (1220 – 1277)

Pendant que les Maures redécouvrent la médecine, en Europe c’est le Moyen Âge. The Dark Ages comme l’appellent les Anglais. Mais aux XIIe et XIIIe siècle, l’Occident connaît une éclaircie. Un frémissement annonciateur du bouillonnement de la Renaissance dont Pedro Julião Rebello, fils de médecin né à Lisbonne en 1213, constitua un acteur de premier ordre. Il fut médecin d’un pape, puis pape lui-même – l’unique pape médecin de l’histoire. Sa contribution à l’ophtalmologie est celle d’une compilation des savoirs de son temps en la matière, un précieux témoignage pour apprécier l’évolution de la connaissance à travers les âges.

« Pour ma part, je définis la vision comme suit : l’organe de la vision est le messager de l’âme qui sort des yeux, tel une lampe qui permet aux sens et à l’esprit de distinguer formes et couleurs. » – PETRUS

La trinité de l’œil moderne

Léonard de Vinco (1452 – 1519)

Figure de génie de la Renaissance, il apporta beaucoup à l’ophtalmologie. Dans ses carnets, on découvre une approche de l’optique passionnante. Des connaissances qui le situent à la croisée de deux époques : bien au-delà du Moyen Âge, mais pas encore tout à fait moderne.

Johannes Kepler (1571 – 1630)

Connu pour s’être illustré aux côtés de Copernic et Galilée, dans le domaine de l’observation astronomique, Kepler fut aussi un pilier dans le domaine de l’optique. Il invente la discipline, qu’il baptise « la dioptrique » et propose une première approximation des lois de la réfraction.

René Descartes (1596 – 1650)

Mathématicien, physicien et philosophe, il théorise la pensée et la méthodologie de recherche moderne dans « le discours de la méthode ». Il est le père des lois de la réfraction qu’il expose dans son ouvrage, également baptisé « la dioptrique », en hommage à son illustre prédécesseur.

Jacques l’opportuniste – Jacques Daviel (1693 – 1762)

Né en Normandie en 1693, c’est un homme parti de rien qui s’est hissé au sommet. Débutant sa carrière à l’Hôtel-Dieu, il sera successivement chirurgien de guerre, chirurgien de peste, puis chirurgien auprès des plus grands de ce monde – dans toutes les cours d’Europe, et enfin chirurgien personnel du roi Louis XV. Il inspirera Diderot et aux côtés d’Ambroise Paré60, Harvey61 ou Felix62, il jouera un rôle clé dans la réhabilitation de la chirurgie en ce siècle des Lumières… Par-dessus tout, Daviel sera à l’origine de la plus grande révolution chirurgicale oculaire, en mettant au point la première méthode d’extraction extra-capsulaire du cristallin.

« Le hasard me fit prendre la résolution de ne plus opérer qu’en ouvrant la cornée et d’aller chercher le cristallin dans son chaton63 pour le faire passer par la prunelle dans la chambre antérieure et le tirer ensuite de l’œil. » – JACQUES DAVIEL

L’ami du peuple – Jean-Paul Marat (1743 – 1793)

Révolutionnaire convaincu né en 1743. Si ses méthodes de soins, saignées au pied et étincelles au coin de l’œil, n’ont pas traversé les âges, il n’empêche : 150 ans avant que n’émerge l’ophtalmologie comme véritable spécialité, il en fut un précurseur qui déjà considérait la « science de l’optique » comme une discipline à part, et à ce titre mérite bien le titre d’ophtalmologiste.

« Le Mal est dans la chose même et le remède est violent. Il faut porter la cognée à la racine. Il faut faire connaître au peuple ses droits et l’engager à les revendiquer ; il faut lui mettre les armes à la main, se saisir dans tout le royaume des petits tyrans qui le tiennent opprimé, renverser l’édifice monstrueux de notre gouvernement, en établir un nouveau sur une base équitable. Les gens qui croient que le reste du genre humain est fait pour servir à leur bien-être n’approuveront pas sans doute ce remède, mais ce n’est pas eux qu’il faut consulter ; il s’agit de dédommager tout un peuple de l’injustice de ses oppresseurs. » – LES CHAÎNES DE L’ESCLAVAGE, Marat – 1774

Entre Aveugles – Emile Javal (1839 – 1907)

C’est un ami de jeunesse de Sully Prudhomme, premier prix Nobel de littérature, avec qui il partage l’année de naissance et celle de mort. C’est un camarade de classe de Sadi Carnot, président de la troisième République mort assassiné. C’est un politique, un linguiste et un écrivain, intime de Zola. Mais surtout, c’est un grand Docteur venu à la médecine de la plus belle des manières, dans l’espoir de guérir sa sœur du strabisme dont elle souffrait. Cet inventeur met au point l’instrument de mesure de l’astigmatisme qui porte son nom, et pose les bases de la discipline, passion de toute une vie, qui permet de soigner le strabisme.

À la fin de son existence, cet homme qui s’est consacré aux yeux des autres se retrouve confronté au déclin de sa propre vue. Touché par la cécité à cause d’un glaucome, il trouvera une parade bien à lui pour surmonter cette tragique épreuve.

« Je sollicite l’indulgence des personnes compétentes, car je ne suis qu’un parvenu de la cécité. » – JAVAL, ENTRE AVEUGLES

El Filibustero – José Rizal (1861 – 1896)

Elève modèle, le philippin José Rizal étudie les langues, la philosophie, les lettres et la médecine. Un savoir qui trouvera sa place dans une existence dont les rouages semblent minutieusement réglés à l’avance. Les langues apportent à Rizal les voyages grâce auxquels il complète sa formation d’ophtalmologiste auprès de la meilleure médecine de son temps. La philosophie lui donne les arguments de sa révolte et les lettres un moyen d’expression. Le médecin renommé apportera la popularité au révolutionnaire qu’il deviendra. La boucle est bouclée. Voici comment le petit Tagalog né en 1861 accède au rang de héros national et offre aux Philippines leur émancipation.

« Qu’importe la mort, si l’on meurt pour ce qu’on aime : pour sa patrie et pour les êtres qui nous sont chers. » – JOSÉ RIZAL

Un grand détective – Sir Arthur Conan Doyle (1859 – 1930)

Né en 1858, c’est un aventurier, un rêveur, et un ophtalmologiste bien particulier ! Venu à cette spécialité par opportunisme plus que par passion, Conan Doyle n’y connaîtra jamais le succès. Pourtant, l’ophtalmologie a bel et bien joué un rôle fondamental dans la réussite de ce grand homme, puisque c’est pendant ses longues journées d’attente dans son cabinet vide, qu’il invente le personnage qui le fera entrer dans l’histoire de la littérature. L’un des héros les plus célèbres au monde et le plus souvent repris au cinéma par la suite… À tel point que certains croient qu’il a vraiment vécu : Sherlock Holmes !

« Je cherchais un local pour poser ma plaque d’oculiste. Je savais qu’en général les gros bonnets du métier ne trouvent pas de temps pour s’occuper des réfractions, qui dans certains cas sont très longues à corriger. J’avais pour ce travail dispositions et goût. J’espérais par lui faire mon chemin. (…) Je louais une pièce en façade, avec participation à l’usage de la salle d’attente. Mais je n’allais pas tarder à m’apercevoir que mon cabinet était une salle d’attente, lui aussi. Je m’en félicite à l’heure actuelle. » – CONAN DOYLE, MA VIE AVENTUREUSE.

Au suivant – Sviatoslav Fiodorov (1927 – 2000)

Sviatoslav Fiodorov est né en URSS en 1927 sur le territoire de l’Ukraine actuelle. Son père passe 17 ans de sa vie en camp de rééducation. Sviatoslav Fiodorov devient ophtalmologiste. Il sera pionnier en matière de chirurgie réfractive, mettant au point la technique de la kératotomie radiaire. Homme d’affaires, il crée aussi ses cliniques où l’on procède aux interventions à la chaîne. En politique, il sera une personnalité de la perestroïka, présentant même brièvement sa candidature à l’élection présidentielle russe de 1996.

« Fiodorov, c’est un fort en gueule. Un Russe extravagant, extraverti qui aime les belles femmes et l’argent. Avec sa Diva qui l’accompagnait partout, c’était un peu le jet-setteur de l’ophtalmologie. Fiodorov, c’était un homme à opérer une femme d’un regard, parce qu’il trouvait ses verres trop épais. » – YVES POULIQUEN

René(e) – Renée Richards (1934 – )

Célèbre strabologue New-Yorkaise née en 1934, Renée Richards devient à 45 ans la vingtième joueuse mondiale de tennis. Elle atteint la finale du double à l’US Open et le troisième tour en simple. Plus tard, elle deviendra l’entraîneuse de Martina Navratilova et aidera la championne à retrouver sa place perdue de numéro 1 mondiale. Des résultats sportifs brillants à qui la championne doit sa notoriété, mais pas seulement… Si Renée Richards est rentrée dans l’histoire c’est aussi parce qu’avant d’être Renée, celle qui est devenue un emblème de la communauté LGBT s’appelait Richard.

« Si seulement c’était seulement Renée… » – CHRIS EVERT

Un chirurgien immortel – Yves Pouliquen (1931 – 2020)

Né à Mortain, le 17 février 1931. Ophtalmologiste spécialiste des maladies de la cornée, il devient professeur à l’Hôtel-Dieu en 1966 dont il est nommé chef de service en 1980. Biographe et essayiste, il est élu en 2001, au fauteuil 35 de l’Académie française. Le seul chirurgien académicien de l’histoire avec Henri Mondor. De 2006 à sa disparition, il préside la fondation Singer Polignac.

« L’ophtalmologie mène à tout. » – Yves Pouliquen

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